extrait - Milan Kundera
Le Rideau , essai en sept parties Editions Gallimard, 2005, p 196-197 ETERNITE Il y eut de longues époques où l’art ne cherchait pas le nouveau mais était fier de rendre belle la répétition, de renforcer la tradition et d’assurer la stabilité d’une vie collective ; la musique et la danse n’existaient alors que dans le cadre des rites sociaux, des messes, des fêtes. Puis, un jour, au XIIe siècle, un musicien d’église à Paris eut l’idée d’ajouter à la mélodie du chant grégorien, inchangé depuis des siècles, une voix en contrepoint. La mélodie fondamentale restait toujours la même, immémoriale, mais la voix en contrepoint était une nouveauté donnant accès à d’autres nouveautés, au contrepoint à trois, à quatre, à six voix, à des formes polyphoniques de plus en plus complexes et inattendues. Puisqu’ils n’imitaient plus ce qui s’était fait auparavant, les compositeurs perdirent l’anonymat et leurs noms s’allumèrent telles des lampes jalonnant un parcours vers des lointains. Ay